Le premier musée national de la culture aïnou vient d'être inauguré dans le sud de Hokkaidô. Bastion contre l’oubli de cette culture en danger, ce musée symbolise aussi l’aboutissement d’une lutte pour la reconnaissance de ce peuple aborigène antérieur aux Japonais, mais longtemps dénigré.

 

Un certain mystère a toujours entouré les Aïnous. Avant les métissages, ils différaient en tout du peuple nippon ; leur apparence physique  que les explorateurs occidentaux du 19e siècle ont qualifiée de « type caucasien » (peau claire, pilosité importante, grande taille, etc.) a donné lieu à des suppositions sur des origines continentales, du Caucase à la Mongolie en passant par la Sibérie et même l’Australie. Leur langue sans parenté confirmée avec d’autres continue à interroger les linguistes. Les Aïnous habitent principalement l’île septentrionale de Hokkaidô, mais certains vivent encore au sud de Sakhaline et du Kamtchatka, ainsi qu’aux îles Kouriles où ils ont été ballotés au gré des disputes territoriales entre le Japon et la Russie. Sur ces terres gorgées d’eaux douces et pourvues d’une riche faune et flore, leur vie s’organisait autour des activités de la chasse, de la pêche, de la cueillette, ou de rituels religieux consacrés aux kamui, esprits et dieux présents dans tout être vivant.

Ainu bear sacrifice. Japanese scroll painting, c. 1870 / British Museum

On en sait peu sur l’histoire pré-japonaise des Aïnous, cités pour la première fois au 6e siècle lors d’une campagne au-delà de la plaine du Kantô où l’empire du Yamato se heurta aux emishi  « barbares de l’Est ». Pendant des siècles, ils se tinrent prudemment en dehors de tout contrôle administratifentretenant de furtifs liens commerciaux avec les Japonais ou se manifestant au cours de révoltes contre l’occupant nippon. Refoulés vers le nord de Honshû au fur et à mesure de l’extension du territoire japonais, la colonisation de l’île de Hokkaidô, puis « l’assimilation forcée » sous l’ère Meiji entraînèrent le déclin de leur culture rappelant le sort des Amérindiens. Déracinés par des décrets visant à leur « intégration totale », interdits de parler leur langue, de chasse, de pêche ou de pratiquer leurs rituels, ils furent très fragilisés et objets d’une discrimination latente. Ce n’est que dans les années 1960, portés par un nouvel intérêt pour les peuples autochtones, qu’ils se regroupèrent pour demander au gouvernement leur droit à la différence et la promotion de leur culture. Revendications partiellement entendues, notamment grâce à l’acharnement de Kanayo Shigeru, écrivain militant et premier Aïnou à siéger au Sénat en 1994 avec l’appui de l’ONU.

Aujourd’hui, les précieuses connaissances environnementales de leurs ancêtres valorisent d’autant plus la culture aïnoue face aux défis écologiques. Mais la société « moderne » saura-t-elle contribuer à raviver une culture basée sur un mode de vie où humains et nature sont indissociables ?

Madame Kimura, dans son costume traditionnel ©Anna Bugaeva

Photo de la vignette du dossier : Japanese Ainu group of four men and two women (standing) with seated young boy and man holding a baby in the Department of Anthropology exhibit at the 1904 World's Fair. ©Official Photographic Company - Missouri History Museum