Né en 1978, Ryusuke Hamaguchi entre à l’Université des Beaux-Arts de Tokyo en 2006 et en ressort diplômé deux ans plus  tard avec Passion, son premier long-métrage.

Adepte d’un réalisme dépouillé doublé d’un peintre méticuleux du tumulte des sentiments, Ryusuke Hamaguchi s’est donc tout naturellement imposé comme le réalisateur japonais le plus important de ces dernières années.
Cette première grande rétrospective européenne, et la plus complète hors du Japon, présentera le travail d'un auteur singulier qui fera l'honneur de sa présence pour trois rencontres exceptionnelles du 5 au 7 septembre.



Rencontres avec Ryusuke Hamaguchi 

♦ Jeudi 5 septembre 

19h30 : The Depths (2h02) > Séance présentée par Ryusuke Hamaguchi
♦ Vendredi 6 septembre 
19h30 : Storytellers (2h) > Séance suivie d’un débat avec Ryusuke Hamaguchi (30min)
♦ Samedi 7 septembre
14h :
Like nothing happened (1h38) > Séance suivie d’une master class avec Ryusuke Hamaguchi (1h)
Autour de l’évènement : RYUSUKE HAMAGUCHI, ENREGISTRER L’INTIME, recueil d’essais à paraitre prochainement.     


           
Les films de la chance

Par Ryusuke Hamaguchi 
Juin 2019

Cela peut paraître une banalité, mais le premier mot qui me vient à l’esprit quand je parle de mes films, ce serait : « gratitude ». Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont apporté leur soutien pour ces projets, des personnes qui se sont tenues devant l’objectif à l’équipe qui m’a assisté derrière la caméra. Merci beaucoup ! J’aimerais profiter de l’occasion pour leur rappeler que les films auxquels nous avons consacré tant de notre temps ont la chance de toujours valoir la peine d’être vus. En fait, j’ai envie d’appeler mes œuvres : les films de la chance. En japonais, le caractère qui compose le mot chance, « un », se retrouve dans les notions de « mouvement » (un), de « transport » (un) ainsi que de « bonne fortune » (un). Ce sont autant d’éléments nécessaires pour réaliser mes films.

En mai de cette année, j’ai eu l’immense plaisir de voir mon film de fin d’études, PASSION (2008), projeté dans plusieurs salles en France. C’est un peu comme si mon œuvre elle-même en tremblait de joie et d’embarras à l’idée que ce film d’étudiant, qui n’avait jamais bénéficié d’une avant-première dans son propre pays au Japon, allait avoir la chance d’être présenté au regard d’un public aussi nombreux à l’étranger. Si le film a finalement pu rencontrer son public, ce n’est pas tant que c’était un joyau caché jusque-là mais plutôt parce qu’il offre aux spectateurs une perspective sur les éléments en germe qui ont abouti plus tard à Senses ou Asako I & II. Dans ce cas, le même raisonnement peut être tenu pour toutes les œuvres projetées durant cette rétrospective à Paris, et toutes ont le même droit à bénéficier de cette chance.

Depuis la sélection d’Asako I & II au Festival de Cannes, on me demande souvent : « Qu’avez-vous fait jusqu’ici ? », à propos de la période d’avant la sortie de Happy Hour. La réponse est simple : je n’ai pas arrêté de faire des films. Je suis incapable de dire moi-même précisément combien il y en a eu, car certains existent en plusieurs versions. Je pense qu’il y a une simple raison au fait que, malgré cette production, aucun de mes films n’ait jusqu’alors été projeté en dehors du Japon : je n’avais pas donné à chaque œuvre la puissance nécessaire pour qu’elle vole de ses propres ailes. En dehors d’Asako I & II, tous mes autres films ont été réalisés avec des budgets étonnamment peu élevés au regard des standards internationaux. Si j’en suis venu à faire des films dans ces conditions, c’est parce que j’ai jugé que, dans le contexte cinématographique japonais de l’époque, c’était le meilleur moyen d’assurer mon indépendance et de mettre en scène mes films en toute liberté. Néanmoins, j’ai beau avoir voulu cette situation, la rigueur des contraintes de production est plus ou moins visible à l’écran à cause des imperfections filmiques. Ce que j’ai essayé de faire est de cerner ces contraintes pour en tirer le meilleur parti. Dans Friends of the Night (2005), par exemple, j’ai décidé de me servir des « mots » comme seule arme, alors que je n’avais rien d’autre à portée de main pour faire mon film.

Dans les œuvres que j’ai réalisées jusqu’à présent, certains motifs reviennent de manière récurrente, si bien que les spectateurs peuvent suivre le processus au cours duquel je cherche à établir mes propres méthodes. Mon plus ancien film parmi ceux qui ont été projetés est Like Nothing Happened (2003). J’ai tourné ce court métrage en 8mm, à la fin de mon cursus universitaire, un peu en guise d’œuvre de fin d’études. Pour dire les choses franchement, il y aurait beaucoup à redire sur le plan technique, au point que si je l’amenais à Paris, sans doute que le film lui-même serait surpris tant il jurerait avec les lieux. Pourtant, on peut déjà trouver dans cette œuvre les prémices des éléments que je me plais à répéter depuis dans mes créations. Je pense qu’on peut ainsi y voir combien, malgré ma pauvreté à la fois budgétaire mais également en matière de talent, j’ai tout fait pour imprimer cette notion de « mouvement » sur l’écran.

Après Passion, I Love Thee for Good (2009) m’a tout d’abord apporté la joie de retravailler avec le même acteur, et m’a également conforté dans l’idée que, dans une situation où je ne parvenais pas à recréer ce que j’avais l’esprit, le seul moyen de m’attirer de la « chance » était de filmer de manière intuitive. Dans The Depths (2010), c’est Hoshi Ishida qui m’a montré les instants d’illumination qui se produisent quand un acteur surmonte la distance qui le sépare de son rôle et s’en remet entièrement à son personnage. D’un autre côté, dans Intimacies (2012), les jeunes acteurs qui s’y produisent m’ont appris la proximité fondamentale entre le jeu d’acteur et la vie. La Trilogie du Tohoku réalisée avec Ko Sakai, m’a dévoilé, à travers le charme qui se dégage de la manière de vivre des gens de la région du Tohoku après le séisme, l’importance « d’écouter » et de s’intéresser à eux pour la mettre en valeur. Tout cela a abouti au travail commun réalisé avec les acteurs du film Happy Hour.

Pourtant, si l’on suit la chronologie de mes œuvres, les plus récentes ne sont pas forcément meilleures que les anciennes, car chacun de ces films porte en lui quelque chose qu’il m’a été possible de filmer uniquement à ce moment précis. Ces films comportent à chaque fois des éléments qui me poussent à me remettre en question. Pour Like Nothing Happened, je me suis dit : « Je vais juste filmer les êtres et les objets de mon entourage qui me sont chers ». J’ai voulu faire ainsi car, à cette époque où j’envisageais déjà de devenir un réalisateur professionnel, j’ai pensé que je ne parviendrais pas à maintenir ce principe fondamental de simplicité et de naturel dans ma carrière future. Finalement, je suis toujours frappé par la beauté que confère ce principe fondamental à mes films, et je ressens la nécessité impérieuse de toujours chercher un moyen de le préserver. Peut-être faut-il rechercher dans ces œuvres des premiers temps non pas simplement les prémisses de ce qui allait faire Happy Hour ou Asako I & II, mais plutôt ceux dont je n’ai pas encore conscience et qui préfigurent mes œuvres futures. Je serais extrêmement heureux s’il se trouvait des spectateurs qui puissent repérer cette potentialité et m’en faire part.

En tout dernier, je tiens à adresser mes remerciements aux acteurs et aux équipes ainsi qu’à toutes les personnes qui ont œuvré pour donner naissance à ces films et les proposer aux spectateurs, plus particulièrement en cette occasion à la Maison de la culture du Japon à Paris et à Clément Rauger. Merci d’avoir permis à ces films de quitter le Japon pour les offrir au public parisien.

Ô films de la chance, poursuivez votre chemin en « mouvement » afin de rencontrer encore et encore de nouveaux spectateurs…