"Le kyôgen joue, en tant qu'intermède de vingt à trente minutes, le rôle de contrepoint face à la tension tragique du nô. 
Kyôgen signifie "paroles folles". Les pièces de kyôgen se jouent le plus souvent entre deux pièces de nô afin de libérer par le rire la tension tragique. 
(…) Bouffonneries inspirées de la vie quotidienne médiévale, elles plongent à la manière de la commedia dell'arte dans la satire sociale : les seigneurs, les moines, les esprits et les démons y sont ridiculisés. 
Fondé sur la verve drôlatique des paroles et des situations, le comique tire parti du contraste saisissant entre la trivialité des situations et la stylisation parfois emphatique ou même hiératique des gestes les plus grotesques. Alors que les mouvements d'ensemble sont réglés en chorégraphie, les personnages paraissent empreints d'une grande dignité jusque dans les scènes de lutte ou d'ivrognerie. 
Les accessoires utilisés sont d’une simplicité extrême : l’éventail a différentes fonctions symboliques, il peut figurer un arc ou une scie. Un couvercle est utilisé pour boire le saké ou figurer un coffre rond de voyage. 
La sobriété est ici étudiée afin de porter toute l'attention du spectateur sur l'interprétation du comédien.
 
Shime Shigeyama est né à Kyôto le 30 août 1947. En 1976, il crée l'association "Hanagata", qui non seulement contribue très activement à la culture du répertoire et à la redécouverte de pièces tombées dans l'oubli, mais poursuit son travail de création avec la mise au point de nouvelles pièces de kyôgen. Ayant lui-même débuté à l'âge de quatre ans, il dirige également une école qui enseigne le kyôgen aux enfants. En 1992, il devient à l'âge de 45 ans « Important bien culturel vivant », puis reçoit l'année suivante le prix de la Ville de Tôkyô pour l'ensemble de ses travaux. En 1995, il reprend le nom de son père et devient Shime de la 2e génération. Depuis le milieu des années 80, il poursuit dans le monde entier une activité très importante, notamment aux Etats-Unis où il séjourne régulièrement
Il est invité en France en novembre 1997 par le Festival d'Automne à Paris, puis à ARTA, l’Association de Recherche des Traditions de l’Acteur, où il donne régulièrement des master-classes pour acteurs professionnels. Programmé pour la deuxième fois à la Maison de la culture du Japon à Paris, Shime Shigeyama joue un rôle très important dans la diffusion du kyôgen en Occident.
 
Accompagné de ses deux fils Motohiko et Ippei, Shime Shigeyama présente à la MCJP trois kyôgen : une pièce du répertoire traditionnel, une pièce moderne, inspirée d’une pièce du dramaturge contemporain Tadasu Iiizawa, et une création adaptée d’Ubu Roi d’Alfred Jarry."
Jean-François Dusigne
Professeur, Université de Picardie Jules Verne, Co-directeur d’ARTA

Programme

Le voleur de melons (Uri nusu bito)
Comme la plupart des pièces de kyôgen, l’intrigue de ce grand classique est des plus simples, l’accent étant mis sur le jeu des acteurs et le comique de situation. Suite aux vols successifs de ses melons, le propriétaire d’un champ imagine différents stratagèmes pour ne plus être victime de ces larcins. Mais ses tentatives sont infructueuses. Il se déguise alors en épouvantail et, immobile, attend le voleur dans le champ afin de l’attraper. Inconscient du subterfuge, ce dernier utilise l’épouvantail comme partenaire de danse et commence à s’entraîner pour la prochaine fête du village…
 
Lessive au bord de la rivière (Susugi gawa) 
Bien qu’elle semble elle aussi très ancienne, cette pièce est l’adaptation d’une œuvre écrite en 1952 par le dramaturge Tadasu Iiizawa. L’intrigue est sensiblement identique à celle d’un classique du théâtre médiéval français, La Farce du cuvier. Ne sachant plus où donner de la tête tant elles le surchargent de travail, un homme faible demande à sa belle-mère et à sa femme de lui mettre par écrit la liste de ses obligations. Puis, alors qu’il est en train de laver le linge, sa femme tombe dans la rivière. Il se refuse à la sauver, prétextant que cela n’est pas stipulé dans son contrat. Il ne se résout à lui porter secours qu’au moment où sa belle-mère lui promet de le considérer dorénavant comme le maître de la maisonnée…Lessive au bord de la rivière est sans doute l’une des pièces de kyôgen du répertoire contemporain les plus jouées.
 
Ubu Roi (création 2005, extraits)
La dernière création des Shigeyama est une version inédite d’Ubu Roi. Le chef-d’œuvre d’Alfred Jarry narre l’histoire de la mère Ubu laquelle reproche à son mari son manque d’ambition et le pousse à assassiner le roi Venceslas pour prendre sa place sur le trône de Pologne. Cette pièce subversive où la satire se cache sous la fantaisie permet à ces maîtres du genre de renouer avec un kyôgen profondément satirique. Quand l’art du rire se met à grincer…