La singulière histoire des potiers Hagi est indissociable des tumultes et de l’esprit de conquête qui dominèrent la vie politique japonaise à la fin du XVIe siècle comme de la période de transition que constitue le XVIIe siècle qui vit s’instaurer un nouveau régime dirigé par le gouvernement militaire du shôgun basé à Edo, l’actuelle Tôkyô. L’ambitieux général Toyotomi Hideyoshi entreprit l’unification économique et administrative de l’archipel en posant les bases d’un système féodal hiérarchisé. Décidé à conquérir la Chine, il commença par envahir la Corée lors de deux expéditions, en 1592 et 1597, qui se soldèrent par de retentissants échecs militaires mais passèrent à la postérité sous le nom ironique de Guerres de la céramique.

Les potiers de la pénin­sule, très appré­ciés pour leurs grès-céla­don à la cou­verte d’un vert bleuté, béné­fi­ciaient alors de fré­quen­tes com­man­des japo­nai­ses. Le célè­bre maître de thé Sen no Rikyû (1522-1591) sol­li­cita l’esthé­ti­que coréenne, plus en accord avec la sobriété issue de la médi­ta­tion zen, que les pièces d’ori­gine chi­noise aux effets sophis­ti­qués en vogue à la Cour. Les longs délais de livrai­son, asso­ciés à une mode gran­dis­sante déci­dè­rent Hideyoshi à rame­ner de force un très grand nombre de potiers désor­mais priés de tra­vailler au Japon en pro­dui­sant des pièces confor­mes au nou­veau goût prisé par les mili­tai­res, récents maî­tres du pays, qui sou­hai­taient accé­der aux plai­sirs raf­fi­nés de la céré­mo­nie du thé jusque-là réser­vés à une élite érudite et cita­dine. La céra­mi­que japo­naise en fut trans­for­mée au prix d’une absence de pro­duc­tion coréenne, qui mit une géné­ra­tion à refor­mer des potiers...

Après la dis­pa­ri­tion de Rikyû, Furuta Oribe (1544-1615) prit la relève en impo­sant à la céré­mo­nie du thé un carac­tère digne et hié­rar­chisé en accord avec la mise en place d’un sys­tème féodal repo­sant sur la fixité des sta­tuts sociaux. Puis vint le maître Kobori Enshû au ser­vice des nou­veaux shô­guns Tokugawa qui mar­què­rent avec les débuts de l’époque d’Edo (1603-1868), la fer­me­ture du Japon à l’influence occi­den­tale tout en assu­rant une sta­bi­lité poli­ti­que au pays.

Les véri­ta­bles fon­da­teurs de la céra­mi­que Hagi sont les frères coréens Yi, héri­tiers des secrets de fabri­ca­tion ances­traux, qui furent parmi les pre­miers à arri­ver au Japon, à l’ins­ti­ga­tion des trou­pes japo­nai­ses. Si les pre­miè­res pro­duc­tions por­tent l’empreinte des dynas­ties coréen­nes ou les pré­fé­ren­ces esthé­ti­ques d’Oribe, non dénuées d’un attrait pour l’orne­men­tal, les oeu­vres de style Enshû expri­ment, la quin­tes­sence du goût japo­nais par une sim­pli­cité issue du wabi, prin­cipe esthé­ti­que fondé sur une atti­tude de dépouille­ment, de silence et de quié­tude, issue du zen.

La terre uti­li­sée dans le Hagi, comme la tem­pé­ra­ture de cuis­son à 1200°C per­met­tent une infil­tra­tion du thé dans les pores de la cou­verte entraî­nant des modi­fi­ca­tions de teinte. Les sub­ti­les varia­tions de colo­ris et de brillance évoluant avec le temps confè­rent un charme indé­nia­ble à ces objets. L’époque d’Edo est également repré­sen­tée dans l’expo­si­tion par de très belles et rares figu­ri­nes repré­sen­tant des divi­ni­tés, des ermi­tes ou encore des ani­maux. Elles sont essen­tiel­le­ment dues à la famille Miwa, qui compte aujourd’hui encore des potiers de tout pre­mier plan. Ces Coréens d’ori­gine avaient par­fait leur maî­trise tech­ni­que auprès de la célè­bre famille Raku de Kyôto à laquelle une brillante expo­si­tion a été consa­crée par la Maison de la culture du Japon à Paris en 1997.

A l’époque moderne, les céra­mis­tes Hagi sont confron­tés à de graves dif­fi­cultés ; l’avè­ne­ment de l’ère Meiji (1868-1912) s’accom­pa­gne de la dis­pa­ri­tion des sei­gneurs féo­daux, leurs tra­di­tion­nels pro­tec­teurs, et de nom­breux fours connu­rent la réces­sion. Les pièces expo­sées sont l’oeuvre de potiers qui ont tenté de résis­ter au déclin et qui se sont tota­le­ment inves­tis dans la renais­sance du style Hagi.

Il fallut atten­dre les len­de­mains de la Seconde Guerre mon­diale pour qu’une prise de cons­cience des céra­mis­tes de Hagi les convainc d’être passés du statut d’arti­san à celui d’artiste créa­teur. Trois voies révé­la­tri­ces de la diver­sité de la céra­mi­que Hagi se des­si­nent alors et conti­nuent à s’affir­mer. Une pro­duc­tion tra­di­tion­nelle (Miwa Kyûwa et Miwa Kyûsetsu), une céra­mi­que d’art carac­té­ri­sée notam­ment par des oeu­vres de grande taille - inha­bi­tuel­les jusqu’alors dans la céra­mi­que Hagi - (Yoshika Taibi) et enfin, une avant-garde non fonc­tion­nelle qui ouvre un champ d’inves­ti­ga­tion neuf (Yagi Kazuo, Miwa Ryôsaku).

Pendant 400 ans, conti­nuité, rup­tu­res et inno­va­tions ont été expri­mées à tra­vers les pro­duc­tions de Hagi. Cette expo­si­tion où sont réunis, outre un grand nombre d’usten­si­les pour la céré­mo­nie du thé du début de l’époque d’Edo, d’anciens objets déco­ra­tifs jusqu’ici rare­ment pré­sen­tés au public ainsi que des pièces d’artis­tes contem­po­rains, montre com­ment, au fil du temps, ces oeu­vres, au confluent d’influen­ces mul­ti­ples, ont évolué en sau­ve­gar­dant cohé­rence et ori­gi­na­lité.