Le public parisien avait découvert l’univers grinçant de Suzuki Matsuo à travers Journal d’une machine en 2013. Le metteur en scène et auteur japonais revient en France avec l’une de ses pièces-phares, Go-on ou le son de la déraison, qui conduit avec humour ses personnages sur un chemin semé d’embûches et d’interrogations existentielles.
 

Au moment où une femme trouve une réponse à la question de l’existence de Dieu, elle est renversée par une voiture. Pour que la conductrice prenne ses responsabilités, le mari de la victime décide de la séquestrer. Ainsi débute Go-on, spectacle imaginé en 2002 par Suzuki Matsuo, véritable icône au Japon depuis vingt ans, pour sa troupe d’acteurs.
Leur présence physique impressionnante, qui s’éloigne du naturalisme pour évoquer le langage énergique des mangas ou des films burlesques, donne à Go-on son rythme et sa force visuelle. La langue y est crue et loufoque, l’humour foncièrement noir et le tout porté par des protagonistes en marge de la société, comme souvent dans le travail de la compagnie. Pour l’occasion, Suzuki Matsuo est sur scène aux côtés de ses comédiens, dans le rôle du mari.
Également reconnu comme cinéaste (Otakus in Love, Bienvenue dans la Quiet Room…), ce touche-à-tout a fait appel à une chorégraphe contemporaine pour compléter sa gestuelle. Si Go-on s’attaque à des questions métaphysiques, il y répond avec une bonne dose d’ironie et de tendresse : « J’espère que le public verra la laideur de ces personnages, mais aussi, parfois, une lueur de noblesse ».

Laure Cappelle, programme du Festival d’Automne à Paris
 

Note d’intention, Suzuki Matsuo 

Bonjour, je m’appelle Suzuki Matsuo. Quand j’avais 10 ans, je me suis mis dans la tête une drôle d’idée. Je croyais que toutes les pensées et les actions des êtres humains avaient été programmées par Dieu, que l’histoire de l’humanité avait suivi son intention. Même les désirs et les gestes les plus anodins, tels que le fait de prendre un verre d’eau, étaient décidés par Dieu. Cette idée m’obsédait. A tel point que je me demandais si tout ce que je voyais – mon environnement, ma famille, mes amis… – n’était pas une illusion que Dieu ne montrait qu’à moi. 

J’étais un enfant hyper actif qui avait de sérieux problèmes de concentration. Mes parents et mes professeurs me grondaient souvent et j’ai reçu pas mal de punitions corporelles. Je ne comprenais pas pourquoi ils étaient en colère après moi. C’est pourquoi j’avais l’impression que la réaction de ces gens, que je trouvais complètement absurde, était un sale coup que Dieu me faisait. J’avais le sentiment qu’en réalité, j’étais seul au monde, que si Dieu frappait dans ses mains, tout ce qui m’entourait disparaîtrait. En philosophie, on appelle ça le solipsisme.

Pour me libérer de cette obsession, quand j’étais seul, je recherchais les mouvements que Dieu ne pouvait pas avoir prévus pour l’homme. C’étaient des mouvements bizarres comme les enfants en inventent souvent. Pour moi, c’était un moyen de fuir le regard de Dieu. Car je considérais que c’était hors de sa vue que la liberté se trouvait. Je tendais ma main pour prendre un verre d’eau, et je faisais finalement autre chose. C’étaient des gestes ridicules, mais j’étais très sérieux, c’était vital pour moi. J’avais pitié de mes amis qui ne se doutaient pas de leur destin programmé par Dieu.

« Je suis le seul à savoir. »

Ce sentiment de privilège me rapprochait finalement de Dieu. Bien entendu, ce Dieu n’était pas le Dieu chrétien. Il n’avait pas de traits de caractère, ni de présence physique, il était comme une idée qui flottait dans l’air. Enfant, je m’interdisais d’imaginer Dieu en tant que personnage. Car je considérais qu’au moment où je voyais cette représentation de lui, c’est justement celle que Dieu voulait me montrer. C’est ainsi que j’ai grandi en ayant la manie de faire des gestes bizarres. On s’est beaucoup moqué de moi à cause de ça et j’en ai pas mal souffert. Ces gestes sont toujours en moi, mais ma rencontre avec le théâtre à la fac m’a permis d’apprendre à avoir un regard objectif sur ma façon de bouger et j’ai pu m’en débarrasser petit à petit dans ma vie courante. Etrangement, ces gestes que je m’abstenais de faire au quotidien, j’ai eu envie de les libérer sur une scène de théâtre. Ces « mouvements impulsifs permettant de fuir le regard de Dieu », nés d’une nécessité oppressante, sans aucune intention comique, déclenchaient les rires du public quand ils étaient exécutés sur un plateau de théâtre.

Je suis entré dans le monde du théâtre en créant ma propre compagnie indépendante alors que j’étais un simple amateur. Je n’avais reçu aucune formation théâtrale, j’avais juste comme particularité ces drôles de mouvements. Cette particularité, je l’ai transmise à mes comédiens et chacun se l’est appropriée à sa manière. Dans un sens, j’ai formé mes comédiens non pas à la manière du théâtre occidental mais plutôt d’une façon proche de la transmission des arts vivants japonais tels que le kabuki. Je suis fier d’avoir formé de nombreux acteurs ayant autant de personnalité, qui parviennent à être très convaincants en ayant un jeu pas du tout naturel.

La pièce « Go-on » décrit avec humour la bêtise de gens qui se demandent si Dieu existe ou pas, un thème qui m’a tourmenté dès mon enfance. Mais ces personnages qui s’agitent dans tous les sens devant Dieu, et semblent être au milieu d’une sorte d’espace festif, n’arriveront jamais à obtenir la vraie liberté. J’espère que le public verra la laideur de ces personnages, mais aussi, parfois, une lueur de noblesse.    

C’est avec ce souhait que je vous présente cette pièce aux danses excentriques.


Création 2002 Tokyo Sôgetsu Hall

Auteur, metteur en scène et interprétation : Suzuki  Matsuo

Avec > Kami Hiraiwa, Shoko Ikezu, Shima Ise, Miwako Shishido, Tom Miyazaki, Sarutoki Minagawa, Seminosuke Murasugi, Elizabeth Marry (danseuse-accessoiriste)

Régie générale >Yukio Sugata

Scénographie > Tomoyuki Ikeda

Lumière > Satoshi Sato

Son > Akame Fujita

Chorégraphie > Masako Yasumoto

Costume > Kyoko Toda

Maquillage > Kazumi Owada

Vidéo > Taiki Ueda

Assistants à la mise en scène > Koui Ohori, Ryoko Sato

Chargée de production > Tomoko Hojo

Productrice > Makiko Nagasaka

Co-productions > Otona Keikaku (Projet d’adultes), Mochiron Inc.

Surtitrage > Miyako Slocombe, Aya Soejima

Photos > Aki Tanaka