UN FILM DE YUKA YASUKAWA
2012 / 68’ / VOSTF
AVEC KIRARA INORI, TAKUJI SUZUKI, KAREN SATO

Ikumi Sakurai est une jeune collégienne élevée seule par son père. Commençant à s’intéresser de plus près à une mère qu’elle n’a pas connue, elle découvrira progressivement le secret de cette dernière en ouvrant ainsi une porte vers l’imaginaire et l’horreur. 


Yuka Yasukawa  
Née en 1986, Yuka Yasukawa étudie le cinéma et la production à l’Osaka Art Technical School. Après un premier travail de commande, elle réalise le très remarqué Dressing Up en 2012 qui ne sortira pourtant en salle que trois ans plus tard. Elle tourne ensuite un long-métrage pour Seishun H, série de films érotiques au cinéma et en vidéo destinée à mettre en valeur les jeunes cinéastes. Plus récemment, Yasukawa vient de terminer le making-of d’un film du regretté Isao Okishima, dont elle fut l’assistante, et a présenté un court-métrage (Eternal Girl) au dernier Festival International de Tokyo. 

Séance proposée par Clément Rauger 

Horreur de jeunesse

Si nous pouvons définir le premier long-métrage de Yuka Yasukawa comme un conte fantastique, cela correspondrait à un résumé juste mais lacunaire pour un travail aussi affecté. Du conte, Dressing Up en possède bien sûr tous les éléments : de l’absence de la figure maternelle aux déambulations dans une forêt menaçante en passant par l’universalité de son histoire, beaucoup d’ingrédients vont venir essentialiser un récit pourtant porté vers l’intime.

Ikumi (Kirara Inori) changeant constamment d’école en raison de troubles du comportement, arrive à Nara en compagnie d’un père (joué par le cinéaste Takuji Suzuki) dévoué mais effacé. La jeune fille recherchant la vérité sur sa mère, morte de maladie lorsqu’elle n’avait que cinq ans, compensera son intégration difficile par un dédoublement de personnalité dérivé d’une phrase lancinante qu’elle se répète à elle-même : « tout détruire ».  

Tourné en 2012 mais sorti en salle deux ans plus tard, la jeune cinéaste citera David Cronenberg (Chromosome 3) ou Claude Chabrol (La Demoiselle d’Honneur) comme ses principales sources d’inspiration. Cependant, sa manière toute singulière de filmer l’angoisse s’affranchit très vite de ces illustres influences.

Car Dressing Up, tourné avec une caméra réflex mono-objectif, nous propose un fantastique basé sur le dérèglement du quotidien plutôt que la recherche forcée d’une image impactante. La jeune Ikumi, inadaptée au système scolaire traditionnel, fait intervenir un chaos ponctuel dans sa classe à travers une succession d’actions anarchiques.

Yasukawa conçoit ses plans comme les croquis d’enfants que dessine la jeune fille ; de larges espaces révélant par tâtonnement un paysage mental tourmenté. Creusant les émotions avec la multiplication d’images de plus en plus inquiétantes, cela désigne l’expression d’une dérive émotionnelle et temporelle significative. A un âge où les devoirs de dissertations demandent aux enfants de se projeter dans l’avenir, le passé vient cannibaliser le présent et la progression du film rend difficultueuse la distinction entre Ikumi et sa propre mère. Le dessin est, encore une fois, l’élément reliant ces deux personnages qui ne se sont pas connus.

Dépourvu de l’hystérie habituellement mise en scène lorsque l’on traite ce genre de pathologie, le basculement dans le genre fantastique se fait dans un calme inquiétant. Le dévoilement d’un visage monstrueux relève-t-il d’une perte d’humanité physique ou bien spirituelle ? Yuka Yasukawa, maintenant intelligemment l’ambigüité, dessine les parties complexes et multi-facettes d’une folie avançant constamment masquée.

Clément Rauger