UN FILM DE YUKINORI KUROKAWA
2016 / 76’ / VOSTF
AVEC JUNICHIRO TANAKA, TAKUJI SUZUKI, CHIHIRO SHIBATA

Abandonné par son groupe de musique, Nakanishi atterri dans un village paisible mais étrange. Il se lie d’amitié avec les habitants qui aiment à discuter, boire et éloigner d’une rivière aux pouvoirs surnaturels les âmes errantes des noyés. 
La projection aura lieu en en présence de l’équipe du film.

Yukinori Kurokawa 
Né en 1970, Yukinori Kurokawa commence à tourner des films très jeune avec une caméra 8mm. Entrant dans le circuit de la vidéo érotique, il réalise son premier long-métrage en 97 avec Assurance-vie d’une débauchée et enchaînera plusieurs pinku eiga. Ayant désormais rejoint le cinéma indépendant, Village to the Village est sorti au Japon le 6 Août 2016. 

Séance proposée par Clément Rauger
 

Jouer, boire, dormir et répéter

C’est l’histoire d’un film-paysage qui commencerait presque comme une nouvelle de Jean Ray : un musicien à la dérive (Junichiro Tanaka) atterri dans un « village » perdu, peuplé d’âmes égarées victimes d’une rivière aux propriétés extraordinaires. Mais nous ne sommes en réalité qu’à la périphérie de Tokyo et ses habitants, loin d’être coupés du monde extérieur, communiquent entre eux via webcam et smartphone sans montrer de signes d’inquiétude face à ces multiples apparitions aux alentours.

Plutôt que de nous soumettre une ouverture sur le monde des songes, Village On The Village est un film qui se voit lui-même rêver ; une œuvre où les errances sans but précis de quelques amis placent ces derniers dans la plus totale conscience de leur somnolence divagante. Nous sommes non seulement conviés à un voyage sur le rivage d’un lac marquant un lieu de passage entre morts et vivants, mais également à partager une bière fraîche avec plusieurs personnages insolites. Parmi eux se trouvent Koga (Takuji Suzuki), propriétaire de bar taciturne et gardien des lieux, son assistante (Chihiro Shibata), et Kondo (Minami Saeki), une jeune femme que l’on prétend immortelle.  

Réalisé par Yukinori Kurokawa, « nouveau » cinéaste venu du 8mm puis du pinku, ces vingt ans d’expérience ne l’empêchent pas de réaliser ce film comme le premier. Le scénariste Ikuhiro Yamagata (chanteur du groupe core of bells)  ayant déjà alterné beaucoup d’activités artistiques, qu’elles soient musicales, théâtrales ou chorégraphiques, condense toutes ses multiples casquettes au service d’un récit nimbé de touches oniriques larvées.

Transformation en orbe ou fétichisme de la pizza froide, l’œuvre vient explorer la mythologie de l’objet disparu comme une succession de natures mortes cherchant à rassembler les bribes d’une existence passée. Evoquant le réalisme magique latino-américain bercé par les modulations noise d’une bande-originale expérimentale, Village On The Village reste toujours sur la berge du réel sans jamais s’autoriser le moindre basculement dans les abysses de la fantaisie.  Ce sentiment de flottement continuel est amplifié par la description des habitudes de ces personnages, accomplissant les mêmes activités - porter des toasts au bar ou méditer au bord de l’eau - à la cadence d’un automate détraqué. Mais si cette plongée dans un univers faussement familier nous fera peu à peu perdre pied, le retour à la surface ne se fera pas sans cicatrices, l’univers élaboré par Kurokawa dépeint également ce « monde sur un monde » comme un prétexte pour se laisser aller à une douce mélancolie.  

Clément Rauger