L’humour dans l’art japonais de la préhistoire au XIXe siècle

En Occident, l’art japonais traditionnel est souvent associé à la spiritualité zen ou à l’audace graphique de l’école Rimpa et des estampes, beaucoup plus rarement à l’humour. Pourtant, il existe bel et bien une culture du rire propre au Japon comme en témoigne la centaine d’œuvres de cette exposition : figurines préhistoriques, rouleaux peints, estampes, images populaires, peintures zen, sculptures bouddhiques… Elles nous invitent à explorer les diverses métamorphoses de la notion de warai – traduite par « rire » ou « sourire » – dans les arts de l’Archipel. De la préhistoire au seuil de l’ère moderne, avec un accent particulier mis sur l’époque Edo (1603-1868), les pièces présentées nous permettent, grâce à leur diversité de styles et de techniques, de porter un regard nouveau sur l’art japonais.

L’exposition WARAI reprend la structure de l’exposition The Smile in Japanese Art organisée en 2007 au Mori Art Museum de Tôkyô. Elle est présentée à l’occasion du 15e anniversaire de la Maison de la culture du Japon à Paris et du 40e anniversaire de la Fondation du Japon.

Archéologie du rire – Dogû et haniwa

L’exposition s’ouvre sur les visages souriants de Dogû en terre cuite vieilles de 3 à 4 000 ans. Peut-on cependant affirmer que les expressions discrètes et gracieuses de ces poteries de l’époque Jômon expriment vraiment la joie ? Ne serait-ce pas plutôt nous qui voulons y voir des sourires ?
Plus tard, à l’époque des tertres funéraires (IIIe-VIIe siècle), apparaissent des rires plus francs sur certaines figurines tubulaires haniwa qui ornaient les tombes des puissants. Les expressions joviales, parfois sardoniques, des terres cuites figurant des guerriers et des paysans semblent intentionnelles : leurs ricanements avaient sans doute pour fonction d’éloigner les esprits malfaisants et d’effrayer les pillards. Ainsi, au Japon, la représentation du rire trouve son origine dans les temps les plus anciens.

Le rire mis en scène

L’introduction du bouddhisme au VIe siècle au Japon s’accompagne de la propagation de l’art chinois. Réaliste et austère à ses débuts, l’art bouddhique de l’Archipel va prendre une tournure plus « japonaise » au fil des siècles. Ce processus donne naissance à des représentations de saints hommes ou de poètes chinois au visage souriant qui exaltent les valeurs de la dérision.

Du Moyen Âge à l’époque moderne sont réalisées une profusion d’œuvres riches d’éléments narratifs, au style plus populaire. Le Rouleau peint de l’histoire de l’île artificielle est caractéristique de ce nouvel art religieux empreint d’humour naïf.

Imagerie issue de la « religion populaire », les « Ôtsu-e » représentent des démons prenant un bain ou effrayés par une souris, un chat ivre… Ces peintures de fabrication rapide étaient vendues comme souvenirs aux voyageurs dès le XVIIe siècle.
Artistes majeurs de la fin du shogounat d’Edo, Utagawa Kuniyoshi et Kawanabe Kyôsai produisirent quant à eux d’innombrables caricatures et peintures satiriques dans lesquelles ils se moquent du gouvernement ou dépeignent une époque troublée.

Regards sur les animaux


Dans l’art japonais, les expressions comiques des animaux singeant les humains suscitent le rire depuis les célèbres rouleaux du XIIe siècle. Ce procédé de personnification a plus tard été repris par Soga Shôhaku, Nagasawa Rosetsu, Mori Sosen et d’autres peintres de Kyôto actifs au XVIIIe siècle qui nous ont laissé des peintures animalières pleines d’humour, à la technique incomparable.
Derrière l’aspect cocasse ou mignon de ces bêtes se cache parfois l’expression d’une critique mordante de la société et du pouvoir. Ce type d’œuvres parodiques est en effet un moyen privilégié pour contourner la sévère censure. L’animal rend possible le renversement des hiérarchies, la mise en cause radicale des conventions, l’expression du ridicule des comportements humains.
Toutefois, le point commun de ces artistes est leur profonde affection pour les animaux qui transparait dans leurs œuvres.

Dieux et bouddhas rieurs


Très populaires à l’époque Edo, les Sept Dieux du Bonheur mêlent dans leurs origines la religion locale japonaise, le bouddhisme ou encore le taoïsme. Représentés sous des formes grotesques, ils n’ont rien de sublime. Avec leur apparence irréaliste qui suscite le rire, ils étaient censés apporter à tous la bonne fortune.
Les religieux de l’époque Edo utilisaient les peintures humoristiques pour l’édification du peuple. Hakuin, qui a redonné vie à la secte zen Rinzai, a peint dans son style de dilettante de nombreuses divinités qui constituent des sermons en image. Le warai, chez ce moine-peintre, renvoie à une réflexion profonde sur les conventions, les codes et leur dépassement.
Contemporains de Hakuin, les moines Enkû et Mokujiki considéraient la sculpture de statues de Bouddha comme une partie intégrante de leurs exercices ascétiques. Ils ont sculpté dans le bois des milliers de statues naïves dont les « sourires archaïques » ne sont pas sans rappeler ceux des haniwa.

Colloque

Mercredi 3 octobre à 18h
Grande salle (niveau -3)
Entrée libre dans la limite des places disponibles
Traduction simultanée en français et en japonais
Intervenants :
Yûji Yamashita, conseiller scientifique de l’exposition et professeur à l’Université Meiji Gakuin
Mami Hirose, commissaire de l’exposition et senior consultant au Mori Art Museum
Francis Marmande, écrivain et critique littéraire
Modérateur : François Lachaud, Directeur d’études à l’École française d’Extrême-Orient, Smithsonian Senior History of Art Fellow