« Quelque chose dans cette forêt évoquait une obscure magie préhistorique. Les arbres règnent sur ces bois, tout comme les créatures vivant au fond des océans règnent sur les abysses. La forêt peut me rejeter ou m’avaler, selon ses besoins. Il vaut mieux garder une crainte révérencieuse envers ces arbres. » (Murakami Haruki, Kafka sur le rivage)

Les forêts japonaises, parmi lesquelles se trouvent quelques forêts primaires peuvent s'enorgueillir de la biodiversité qu'elles abritent, avec de nombreuses espèces animales ou végétales endémiques. Deux d'entre elles sont même classées au patrimoine mondial de l'humanité : la forêt vierge de hêtres des vastes étendues sauvages de Shirakami-Sanchi dans le nord de l'île principale Honshû ; l'île subtropicale Yakushima qui compte en son sein, outre de somptueux cèdres sugi millénaires, toutes les essences d'arbres du pays.

Ce couvert forestier si dense a profondément nourri la civilisation japonaise, laquelle, contrairement à l'Occident qui se pose en observateur d'un milieu naturel exogène,
distingue le paysage contemplé, keikan, du paysage « vécu », fûkei. Le fond culturel animiste en fait un milieu fluide où espèces vivantes, divinités et esprits divers
cohabitent, où les humains ne sont que des créatures parmi tant d'autres qui ressentent, mais aussi craignent, la puissance émanant des forêts, indissociables des montagnes dans le pays.

Dans le Japon ancien, les yama (« montagnes »), dont beaucoup étaient sacrées, étaient soit opposées au sato (« village » ), soit constituaient une zone intermédiaire
avec l'au-delà, autrement dit recelaient de potentiels dangers pour qui s'y aventurait.
Des précautions rituelles protégeaient les voyageurs sortant des grandes routes – religieux, pèlerins, ermites ou poètes voulant s'éprouver.Toute une littérature de voyages, une myriade de poèmes et de légendes populaires
livrent une géographie fantasmatique des lieux les plus célèbres pour leur beauté et surtout leur force évocatrice, images sans cesse reprises, qui imprègnent l'imaginaire
collectif.
La plus grande péninsule du Japon, Kii, où l'agriculture n'a pas pu être développée faute de terres arables et qui abrite le parc national de Yoshino-Kumano, en est l'un des exemples quasi mythiques, avec ses sentiers traversant des paysages à couper le souffle. C'est aussi un haut lieu du shugendô, culte syncrétique des montagnes à forte dominante bouddhique, dont les moines yamabushi cherchent à s'unir aux divinités et à acquérir des pouvoirs, au moyen de parcours d'ascèse interdits aux profanes. Même en dehors des zones naturelles sauvages, les arbres restent dotés d'une énergie puissante : ils protègent souvent les sanctuaires shinto en un écrin de verdure.
Une transition s'opère depuis quelques décennies, déplaçant le regard vers cet aspect plus protecteur. La forêt se pare d'attraits plus récréatifs et les promenades sans autre but qu'elles-mêmes deviennent une pratique plus courante, avec des bienfaits sur la santé grandement soulignés que résume un terme relativement récent, le shinrin-yoku, « bain de forêt » : celui-ci permettrait, entre autres, une diminution du cortisol, hormone du stress et une amélioration du système immunitaire.

Cette vision ambivalente de la forêt aux multiples facettes semble s'incarner dans certains films d'animation de Miyazaki Hayao, comme Princesse Mononoke : un milieu vivant à la fois menaçant et protecteur, dont la richesse en biodiversité comme en symboles ne sera ici que partiellement révélée.

Photo : ©Anezaki Kazuma (courtoisie de Nippon.com)
Photo de la vignette : ©C.K. Tse