C’est le macaque le plus septentrional de la planète, ce qui lui vaut le surnom de « singe des neiges ». D’une taille allant jusqu’à un mètre de hauteur, il est pourvu d’un épais pelage gris-brun et d’une queue courte qui n’enlève rien à son agilité. Son visage percé de grands yeux expressifs est glabre et rouge comme son postérieur. Les singes vivent en bandes de 20 à 80 individus, dans les régions boisées jusqu’à 1500 m d’altitude.

Les Japonais ont abordé cet attachant animal aux attitudes et expressions si proches de celles des humains, avec un éventail de sentiments complexes que l’on retrouve aussi bien à travers les contes que les dictons populaires. Sage, intelligent, voleur ou fourbe, le singe porte-bonheur peut aussi être une bête stupide et laide, prétendant s’approprier des qualités et biens de l’Homme.
 

Au temps des premières agricultures, inspirant une certaine fascination, il fut considéré comme une divinité des montagnes à qui l’on prêtait des pouvoirs surnaturels. Le singe domestiqué devenait un entremetteur entre le divin et le monde humain. De là se forgea le rôle le plus important qui lui sera attribué des siècles durant : guérisseur et protecteur de chevaux. Cette fonction, déjà reconnue à l’Antiquité, prit tout son sens aux temps troublés des guerres entre les régions : lorsqu’un cheval était malade ou blessé, on appelait aux écuries un dompteur dont le singe devait exécuter une danse magique supposée générer la guérison. Le grand seigneur guerrier et acteur de la réunification du pays, Tokugawa Ieyasu (1543-1616), en fut un usager assidu : on raconte qu’ayant 3 chevaux malades, il demanda expressément les services du dompteur Takiguchi Chôtayû et de son singe. Une fois les chevaux rétablis, le tandem fut largement rétribué et prié de venir 3 fois l’an aux écuries. A sa mort, le seigneur fut inhumé au sanctuaire de Nikkô qui devint le lieu protecteur des dompteurs et des singes, et où leurs danses « chamaniques » furent présentées jusqu’à récemment.Attirant la bonne fortune, ces singes danseurs étaient également prisés lors d’occasions spéciales telles que le Nouvel An, ou pour assurer une bonne récolte, jusqu’à la fin de l’ère Meiji.

Au cours de l’époque Edo (1606-1967), la stabilité sociale retrouvée préservant le cheval du danger, son chaman de singe vit sa patientèle se raréfier. Les dompteurs travaillèrent alors davantage les sarumawashi « spectacles de singes », toujours populaires aujourd’hui. L’animal est d’abord entraîné à marcher sur ses deux pattes arrières avant d’être capable de présenter des numéros de cirque, tels que marcher sur de hautes échasses, faire des sauts périlleux, etc. Mais c’est surtout son étonnante capacité de mimétisme que l’on exploite pour le bonheur des passants : ses accoutrements, sa désobéissance simulée ainsi que la mise en scène de tentatives laborieuses pour faire « comme les humains », provoquent l’hilarité des foules.

 L’Homme éloigna ainsi le macaque de la fonction spirituelle que ses ancêtres lui avaient attribuée, pour lui faire revêtir le costume du clown, voire du bouc émissaire. De nos jours, ces « tours de singe » ont gagné en popularité grâce aux émissions de divertissement, et plus récemment, aux réseaux sociaux. Que reste-t-il de l’animal chaman, si ce n’est en médecine traditionnelle la poudre de tête de singe carbonisée censée guérir des maladies cérébrales et mentales ? L’amulette kukurizaru sous forme d’un singe aux pattes liées, accrochée dans les temples pour aider un vœu à se réaliser, en est peut-être un vestige.

En réalité, la magie est bien là, lorsqu’un matin d’hiver au détour d’une route étroite de montagne, on tombe nez-à-nez avec une tribu de singes sauvages qui profitent de la chaussée chauffée au soleil, certains se laissant toiletter par leurs congénères les yeux fermés de volupté !
 

Three Wise Monkeys, Tôshô-gû Shrine ©Michael Maggs


Visuel de la vignette : ©Curtis Simmons