S’il n’est pas un secret que la mer et ses richesses occupent une place de choix dans la culture et l’imaginaire japonais, l’importance des discrets mais non moins précieux coquillages demeure relativement méconnue.

Leur beauté n’a de cesse de fasciner et, de fait, dans l’archipel japonais au relief très montagneux où les foyers de population se sont concentrés le long des côtes, l’usage de coquilles pour la fabrication d’ornements corporels est attesté dès la période néolithique de Jômon, ainsi que la consommation de ces mollusques. 

Au fil du temps, les goûts alimentaires des Japonais se sont façonnés au contact des « trésors de la mer », umi no sachi, poissons, crustacés, ainsi qu’une grande variété de coquillages (palourdes, Saint-Jacques, clams, ormiers, huîtres…) présents sur les tables les plus simples comme les plus recherchées, chaque terroir se faisant fort de mettre en avant ses spécialités et ses modes de préparation, voire d’organiser des festivals, comme les kaki matsuri (« fêtes de l’huître ») qu’on retrouve dans plusieurs régions. Le goût pour ces derniers coquillages a même su créer des liens puissants entre ostréiculteurs japonais et français, comme nous le verrons plus loin. 

Moins connu est le rôle des coquillages dans les arts et l’artisanat japonais. Le coquillage peut d’abord se faire support : de délicates peintures ornent alors l’intérieur des coquilles de palourdes, dans un style empruntant à l’esthétique classique japonaise. La nacre, couche interne de coquillages, constitue quant à elle un matériau de choix pour nombre d’artistes : sensibles à son bel aspect irisé, les laqueurs l’incorporent à leurs œuvres, souvent en association avec le maki-e, saupoudrage de poudre métallique.

Que seraient également les peintures et les estampes sans le gofun, cette délicate poudre blanche à base de coquilles broyées et tamisées ? Chez les premiers maîtres des estampes, comme Hishikawa Moronobu ou Sugimura Jihei (17e s.), le gofun est apposé à la main pour rehausser le teint diaphane des belles. Puis, avec l’avènement des estampes polychromes, cette poudre précieuse se retrouve parfois mélangée à d’autres pigments afin d’en modifier l’intensité. Sa beauté se révèle dans tout son éclat, créant de subtils reliefs, sous le pinceau du peintre animalier Itô Jakuchû, maître des couleurs chatoyantes. Plus généralement, la peinture japonaise nihonga, qui utilise des pigments naturels, en fait grand usage. Un autre art pour lequel il demeure indispensable est le théâtre bunraku où il est appliqué sur le visage des marionnettes - ainsi que sur celui de nombre de poupées traditionnelles : la lumière s’y réfléchit doucement, sans excès…  À l’image des perles de culture, fleurons de la joaillerie japonaise.

Ama. Atelier de Hokusai. Source gallica.bnf.fr / BnF