Après Yasuzo Masumura et Kenji Misumi à la Daiei, Kinji Fukasaku à la Toei, Seijun Suzuki à la Nikkatsu, avec Kihachi Okamoto à la Toho, nous poursuivons notre découverte des artisans chevronnés du cinéma japonais qui ont montré que politique de studio et vision personnelle pouvaient faire bon ménage.
Monté à Tokyo en 1941, Okamoto fait des études universitaires tout en fréquentant les salles obscures. La guerre du Pacifique, imminente, lui laisse juste le temps d’être émerveillé par les westerns de John Ford et les comédies de René Clair. Les premières restrictions arrivant, il se sent en sursis de mort, maudissant le destin qui est en train de lui dérober sa passion naissante pour le cinéma. Alors il voit autant de films qu’il peut, et de cette frénésie viendra sa vocation de cinéaste. En octobre 1943 Okamoto est recruté à la Toho, mais mobilisé en janvier 1944.
En 1958, au bout de 15 années d’assistanat - durée exceptionnellement longue en cette période de l’âge d’or du cinéma japonais, elle aura pour avantage d’en faire un technicien hors pair - Okamoto est promu réalisateur au moment où la nouvelle vague japonaise est en embuscade. L’ambition d’Okamoto est plutôt d’exprimer son expérience de la guerre sous la forme de divertissements sérieux, car il trouve trop mélodramatiques ou trop politiques les films de guerre japonais, et trop manichéennes les productions hollywoodiennes. Il fait donc le pari de la fusion entre guerre et satire, dans des films d’action au montage étonnamment dynamique et serré - à la source de l’animation japonaise contemporaine, sa technique est une référence majeure pour Hideaki Anno (Evangelion, Shin-Godzilla) - et aux audaces formelles dignes de Suzuki. Certains sont tournés dans des paysages arides, façon délibérément western : c’est la célèbre série, controversée à l’époque pour sa rudesse et adulée aujourd’hui des « Têtes brûlées » (Gurentai) dont trois films sont proposés dans le cadre de cette rétrospective : Les sentinelles de l’enfer, Rats d’égout en uniforme et À l’ouest, du nouveau.
Loin de vouloir juger l’Histoire, ces œuvres sont des constructions abstraites, sans autre ambition que d’exprimer par un joyeux sens de l’absurde la nature humaine telle qu’elle est. À la fin des années 1960, Okamoto reprend cette thématique avec des productions de commande, cette fois à la touche documentaire : Le jour le plus long du Japon, La bataille d’Okinawa ; ou auteurisante : L’homme-torpille. Entre temps, il aura innové du côté du film noir avec des polars annonciateurs des yakuzas modernes de Fukasaku (Ombres dans la nuit), tout en révolutionnant la forme de la comédie sociale dans le contexte de l’après-guerre avec deux pamphlets hilarants et grinçants, façon Masumura, où il fait coexister les hommes en rupture de ban (Ô Bombe) avec les nouveaux soldats de la guerre économique (La vie élégante de Monsieur Tout-le-monde).
Fabrice Arduini
Photo : Les sentinelles de l'enfer ©1959 Toho Co., Ltd.