L’image exotique du jeune dandy japonais à la frange droite et aux lunettes rondes empreinte du parfum d’insouciance qui régnait dans le Paris des années 1920 refait volontiers surface. Puis on redécouvre avec ravissement les douces fresques bleues et ocre de la chapelle Notre- Dame-de-la-Paix sorties des mains du peintre devenu catholique dans ses vielles années. Léonard Tsuguharu Foujita, célébré cette année à l’occasion de l’anniversaire de sa mort, fut un artiste virtuose et prolifique dont la vie comme l’œuvre, oscillant entre la France et le Japon, ne cessent de passionner.

Montparnasse, 1913. Un jeune Japonais de 27 ans déjà pourvu d’une solide formation artistique en peinture occidentale à l’université des beaux-arts de Tôkyô, réalise enfin son rêve de se confronter au « vrai Paris ». La capitale bouillonne d’idées nouvelles. Ses amis sont les peintres Modigliani, Soutine… Il étudie les primitifs italiens au Louvre, la danse et une façon de s’habiller à la grecque antique à l’Akademia fondée par Raymond Duncan. Pris d’un désir ardent d’accomplir  son art, il choisit de rester, rompant avec sa fiancée au Japon. Sa première exposition à Paris en 1917 révèle des aquarelles et encres aux couleurs chaudes et délicates ; on y remarque l’originalité de ses compositions et surtout sa maîtrise du trait qu’il semble avoir hérité de maîtres japonais. Pourtant loin de se satisfaire de ses premières œuvres et cherchant à se détacher de son héritage académique nippon, Foujita travaille assidûment, assimilant tout autour de lui avec une énergie hors du commun. Après la guerre, Montparnasse explose de fantaisie, les acheteurs américains dépensent sans compter et les peintres en bénéficient pleinement. Au cours d’une fête Foujita rencontre sa véritable muse : Lucie Badoud bientôt prénommée Youki (neige) en référence à la blancheur de sa peau. Sa peinture se fait plus charnelle, à la recherche d’une texture qui se rapprocherait de l’épiderme velouté. Il développe ses blancs opalescents dont lui seul a le secret ; grands fonds d’huile en fines couches transparentes sur lesquelles, grâce à une technique éprouvée, il parvient à tracer à l’encre des traits fins et agiles. Le corps peu présent dans la peinture japonaise traditionnelle l’a envoûté ; il en extrait la grâce féminine avec sobriété et délicatesse, ou la force musculeuse à la façon de Michel Ange, tandis que ses compagnons complices et câlins, les chats, se lovent çà et là en fidèles témoins de son art.

Foujita est un homme de voyage ; il y a la Provence si aimée des peintres, Deauville où il est une star, l’Europe, les États-Unis où il expose régulièrement, puis à nouveau le Japon avec entre les deux, l’Amérique du Sud où sa palette se fait plus vive et baroque. Au Japon, enfant prodigue d’un  respecté général d’armée, il vit avec les honneurs d’un artiste à la renommée internationale. Mais son destin lui échappe à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Enrôlé comme peintre officiel de l’armée impériale, il s’acquitte de sa tâche avec un réalisme sombre et une technique hors pair ; les immenses scènes de  batailles sur le continent asiatique tranchent avec les couleurs vives d’Amérique latine ou la joyeuse naïveté des scènes de sa vie japonaise. Inquiété après la défaite pour avoir collaboré avec l’armée impériale, le peintre connaîtra misères et péripéties avant de retrouver Paris à l’âge de 60 ans.

C’est alors une France de contes, douce, naïve et grave, qui naît sur ses toiles à travers des animaux de fables, des portraits d’enfants au grand front diaphane et au regard étrange. La nostalgie d’un Paris révolu, tout comme la joie et la tendresse de « mères à l’enfant » animent sa peinture.

Au cours d’un voyage à Reims lors d’un passage à la basilique Saint-Remi, Foujita sent « son âme s’ouvrir ». Désormais baptisé avec pour prénom Léonard, en hommage à Léonard de Vinci, ses derniers grands projets seront animé d’une foi catholique ardente, dont le plus monumental : orner les murs d’une chapelle bâtie pour l’occasion dans la région de Reims (Notre-Dame-de-la-Paix), de fresques religieuses. Ce travail mobilise le vieil homme au-delà de ses forces, mais laissera une œuvre virtuose à mi-chemin entre peinture de la Renaissance et peinture japonaise ; celle d’un grand artiste qui, tout dévoué à son art sa vie durant et en en ayant atteint le sommet, se prépare à quitter ce monde.

Visuel de la vignette : photo de Jean Agélou (1878-1921)