Transphère #5 - Photographie 

Tomoko Yoneda est une photographe japonaise de renommée internationale qui vit et travaille à Londres. Depuis près de trente ans, elle parcourt le monde, enregistrant les traces laissées par l’Histoire. Pour la série inédite qu’elle présente à la MCJP, elle est partie sur les pas d’Albert Camus, en Algérie et en France, poursuivant sa réflexion sur la mémoire des lieux avec ses photographies sensibles et poétiques. Une évocation subtile des jeunes années de l’auteur de L’Étranger.

Pour ce 5e volet de la série Transphère – cycle d’expositions consacré à la création contemporaine japonaise, Tomoko Yoneda s’est plongée dans la vie et l’oeuvre d’Albert Camus. Elle s’est rendue sur les lieux qui ont marqué l’enfance et la jeunesse de l’écrivain : Alger, Tipaza, antique port romain qu’il aima tant et où se dresse une stèle à sa mémoire, mais aussi Paris, Le Chambon-sur-Lignon, village d’Auvergne où il vécut à partir de 1942 et écrivit La Peste. Ou encore Chambry où son père, engagé comme zouave, combattit durant la bataille de la Marne, et Saint-Brieuc où, en 1947, Camus découvrit avec émotion la tombe de son père mort en 1914, comme il le raconte dans son roman resté inachevé, Le Premier Homme. La trentaine de photographies sélectionnées pour cette exposition est un dialogue entre la photographe et l’écrivain, entre le passé et le présent. Elle nous incite à réfléchir à la colonisation, à la guerre, ainsi qu’aux combats et à l’humanisme de Camus.

Tomoko Yoneda a étudié la photographie aux États-Unis puis à Londres, au Royal College of Art, à l’époque de la chute du mur de Berlin et de l’effondrement de l’Union soviétique. Elle prit conscience que même les structures et les idéologies les plus puissantes étaient éphémères, et que la société dans laquelle nous vivons pouvait se transformer radicalement en un rien de temps. Fascinée par l’histoire tourmentée du XXe siècle, elle s’est rendue en Europe de l’Est, en Irlande du Nord, à Taïwan, au Bangladesh, et plus récemment à Fukushima. Les photos qu’elle y a prises sont celles de paysages et de lieux en apparence ordinaires, sublimés par sa maîtrise formelle. Mais les titres de ces oeuvres font ressurgir le souvenir d’événements du passé. Yoneda révèle ainsi dans notre environnement quotidien les traces de tragédies oubliées.

Commissaire : Aomi Okabe, directrice artistique des expositions de la MCJP.

Tomoko Yoneda

(…) Pour cette exposition, j’ai revisité les lieux où Camus a vécu, ainsi que les endroits et les événements historiques qui l’ont inspiré, dialoguant avec les habitants de l'Algérie et de la France chères à l'écrivain pour mieux explorer en images la question de l’amour universel et radieux. Je me suis efforcée d’alimenter la réflexion sur la nature humaine, en répondant en photographies aux événements du passé, mais aussi aux ombres qui planent de nouveau sur l’Europe et le Japon.

Cette exposition s’articule autour de Ni victimes, ni bourreaux, qui m’a beaucoup marquée alors que je vivais aux États-Unis pendant la guerre froide. Dans cet essai écrit après le largage de la bombe atomique en 1945, Camus dénonce le glissement vers le totalitarisme entraîné par la guerre froide et l’avènement d’un nouvel ordre mondial reposant sur la peur et où « la fin justifie les moyens ». L’écrivain pose une question fondamentale : voulez-vous être tué ? Et, dans le cas contraire, ne devriez-vous pas dire « non » à un monde qui légitimise le meurtre ? Les guerres qui ont éclaté du temps de Camus et de ses prédécesseurs ont-elles pavé la route vers un avenir plus pacifique pour notre génération ? Nous continuons à chercher la réponse à la question que Camus a passé sa vie à essayer de résoudre : quelle révolte, quelle justice sont véritablement humaines et dignes ? Dans le chaos actuel, l’œuvre de Camus et sa façon de vivre nous rappellent à quel point il est important de s’interroger sur le sens de notre existence et de l’amour. À travers mon travail, j’espère contribuer à ce vaste dialogue.

 


Tomoko Yoneda, L’attente, port d’Alger, 2017, Courtoisie de ShugoArts