« La pagode qui venait à peine d’être construite était rudement malmenée. La flèche aux neuf anneaux oscillait ; le joyau de pointe traçait des signes indéchiffrables dans le ciel. Toute la structure ployait, en faisant grincer le bois, assaillie par un vent à renverser des rochers, frappée par une pluie à transpercer des boucliers. Puis elle se redressait, pour ployer de plus belle dans un nouveau grincement. Elle semblait pouvoir s’écrouler d’un instant à l’autre. [...]. Depuis lors, la précieuse pagode se tient haut dans le ciel pour l’éternité. »
Kôda Rohan, La pagode à cinq étages
Au milieu des mégalopoles qui grignotent toujours plus les campagnes alentours, on peut parfois oublier que le Japon est un pays de forêts avec une incroyable variété d’arbres. Rien d’étonnant que depuis bien avant l’Antiquité, les Japonais aient su tirer le meilleur usage du bois dans les moindres recoins de leur vie quotidienne. Or, de la richesse de ce matériau vivant à la beauté des objets en passant par le raffinement des techniques, le travail du bois vaut bien que l’on s’y attarde.
Cinquante-trois espèces d’arbres étaient déjà répertoriées dans les recueils de mythes fondateurs, le Kojiki et le Nihonshoki. Le bois de cèdre et de cyprès servait le plus souvent à la construction des charpentes, le camphrier pour celle des navires. À l’arrivée du bouddhisme au VIe siècle, les statues en pierre ou en bronze sur le continent furent très vite sculptées en bois dans l’Archipel. Résistantes aux aléas climatiques, à l’humidité et aux séismes, les charpentes en cyprès hinoki des temples et sanctuaires résultaient d’un savoir-faire aussi esthétique qu’astucieux, le kigumi, assemblage de poutres sans clou ni vis. Habitat, meubles, outils, ustensiles…, jusqu’à une époque récente le bois est la base de la vie quotidienne nippone, mais la société industrielle remplaçant très rapidement les matériaux traditionnels, en 1950 les métiers du bois sont labélisés par l’État afin d’être préservés et transmis. À l’an 2000, le recensement d’environ 82 métiers du bois employant plus de 7000 artisans montrent la relative bonne santé d’un artisanat encore ancré dans les habitudes de consommation.
Le travail du bois au Japon, en dehors de la charpenterie, comporte sept domaines de compétences de la menuiserie fine à la tonnellerie. L’esthétisme pesant autant dans la réalisation que le côté pratique, l’artisan met tout en œuvre pour valoriser la couleur, le grain formé par les cernes ou les veines du bois et tout ce qui en exhalera le charme. La sélection, les techniques de coupe, de séchage et de polissage seront ainsi pensées de façon à donner au futur objet un mouvement, une expression ou des motifs révélant la beauté naturelle du bois particulièrement appréciée des Japonais. La foisonnante variété d’espèces endémiques offre d’ailleurs une palette de possibilités vertigineuse, le tout étant de savoir quel bois utiliser pour quel type de création. Le plaisir des yeux est certes fondamental, mais l’artisanat du bois sollicite tous les sens ; la texture révèlera sous les doigts la « personnalité » de l’arbre, le goût qu’il diffuse primera dans la fabrication des conteneurs alimentaires ou ceux de la cérémonie du thé. On appréciera le parfum subtil des bois de hinoki, de camphrier, de pin ou de muscadier, en particulier pour les images bouddhiques, l’habitat ou même comme répulsif. Quant à la sonorité du bois, elle tintera à travers les instruments de nô, de kabuki et de bunraku, comme avec les hyôshigi, claves dont le son familier résonne aussi lors des cérémonies shintô.
Shô kannon (bodhisattva de la compassion), 12e siècle
© MET (Metropolitan Museum of Arts)