Dès les années 1860, une première génération de photographes professionnels voit le jour. En ce début d'ère Meiji (1868-1912), le Japon, sous la pression de l'Occident, met en place un gouvernement centralisateur, visant à devenir un État moderne et d'importantes mutations s'opèrent dans la société. Dans ce contexte, les studios de photographie constituent un des symboles de l'ouverture aux technologies occidentales. Bien loin de se cantonner aux portraits, les photographes parcourent le pays : des témoignages précieux de ces années sont ainsi immortalisés, parmi lesquels les ruines du château d'Edo (Yokoyama Matsusaburô), les champs de bataille de la révolte de Satsuma (Ueno Hikoma), les terres de Hokkaidô, l'île la plus septentrionale, et le peuple autochtone aïnou (Tamoto Kanzô). À la même époque, d'autres studios se lancent dans la reproduction en série, avec pour thèmes de prédilection acteurs, geishas ou paysages célèbres. Le port de commerce Yokohama, notamment avec l'Italo-britannique Felice Beato qui s'y établit en 1865, voit fleurir la photographie touristique, délicatement coloriée : ces Yokohama shashin, qui circuleront largement en Occident, constitueront une source d'inspiration peu connue du japonisme. Dans cette même veine, des cartes postales apparaissent à la fin de l'ère Meiji.
Avec l'augmentation du nombre de studios et les progrès techniques, les prix baissent et peu à peu les gens du peuple nouent avec une nouvelle habitude, celle de "se faire tirer le portrait" et les photos-souvenirs pour les occasions spéciales commencent à ponctuer les existences.
À partir de 1900, des clubs de photos veulent élargir les possibilités qu'offre la photographie dans le domaine de l'art. Dans les années 1910, des artistes explorent un courant pictorialiste, jouant sur les pigments, la déformation, tandis que le flou artistique connaît une grande vogue. La décennie suivante correspond à la fois à la découverte au Japon des œuvres de Man Ray et de ses contemporains les plus célèbres, et l'essor du photo-journalisme avec le pionnier Naoki Yônosuke, et de la photo comme vecteur publicitaire. Une approche qui offre son lot de nouveaux talents. Parmi eux : Horino Masao et Watanabe Yoshio capturent machines et édifices, dans le style de la "nouvelle objectivité" (Neue Sachlichkeit) qui suit et prolonge quelque peu l'expressionisme allemand ; Nakayama Iwata et Koishi Kiyoshi, recourant souvent à des photomontages, se meuvent dans un univers surréaliste ; Kimura Ihei et Yasui Nakaji s'illustrent notamment avec leur travail sur les corps.
Dans l'après-guerre, la photographie japonaise connaît son premier âge d'or. Domon Ken, dans une recherche de rendu radical de la réalité, photographie par exemple les victimes de la bombe atomique, la photographie témoignant de l'indicible. Dans un style quasi ethnographique, Hayama Hiroshi s'emploie à rendre les habitudes de vie du Japon tradtionnel, l'attachement des gens à leur terroir. Mais, à la fin des années 1950, l'approche avant tout subjective prend le desssus. Intégrant les expériences de la guerre, de l'après-guerre, l'essor accéléré de l'économie, les modifications environnementales et sociétales brusques, une nouvelle génération de photographes s'empare de la réalité avec un regard plus personnel, tout en gardant une conscience sociale. Hosoe Eiko explore ses souvenirs traumatiques d'enfant ayant connu la guerre dans une série métaphorique réalisée avec le danseur pionnier du butô Hijikata Tatsumi ; Tômatsu Shômei vise à ériger une digue contre le flot du temps, saisit les conséquences de la bombe atomique à Nagasaki, ou encore interroge politiquement l'après-guerre à travers les bases militaires américaines à Okinawa et les manifestations estudiantines de la fin des années soixante ; Ishikawa Mao est remarquée dès son premier projet photographique à Okinawa, où elle documente la présence américaine sous un angle inédit - pour ne citer que quelques noms !
L'art photographique se nourrira plus profondément encore du paysage mental des artistes dans les années qui suivront. Parmi les plus connus, Moriyama Daidô, membre du collectif Provoke, privilégie le noir et blanc, avec des contrastes marqués et des effets de grain, et se voit tel un chasseur urbain, "un chien errant", produisant des images brutes d'une réalité fugace.
Enfin, il s'agit de ne pas oublier celles qui se sont frayées un chemin dans cet univers masculin, souvent dans l'ombre des circuits ou longtemps ignorées des critiques. Outre Ishikawa Mao, citée plus haut, le Japon peut s'enorgueillir de compter nombre de talents féminins dans la photographie, dont voici quelques exemples, dans des genres divers. Sasamoto Tsuneko, considérée comme la première photojournaliste, documente la vie quotidienne durant la guerre du Pacifique. Autre grand nom, Ishiuchi Miyako, dont les premiers clichés sont pris à la base militaire de Yokosuka, se fait connaître avec ses portraits de femmes matures, son questionnement du temps qui passe, que ce soit à travers des fragments de vêtements, d'une cicatrice... Plus près de nous dans le temps, Kon Michiko, influencée par le surréalisme, revisite à sa manière l'art des natures mortes ; Hiromix, révélée grâce à son journal d'adolescente et qui depuis au détour de nombreux autoportraits, explore l'identité, la notion de communauté ; tandis que Kawauchi Rinko livre une vision poétique de moments ordinaires ; Hara Mikiko évolue entre ses modèle pensifs féminins et ses instantanés de vie où elle se plaît à traquer la part d'inconscient fugace ; dernier exemple enfin, Nagashima Yurie se focalise dans une perspective féministe sur des thèmes comme la famille, la sexualité et les rôles stéréotypés au sein de la société.
Un rayon photo des plus riches vous attend à la bibliothèque de la MCJP en complément de ce dossier, modeste introduction à la photographie japonaise qui s'écrit de nos jours encore en lettres d'or au Japon.
Photo de la vignette : Le photographe Domon Ken. Domaine public. Publié dans Asahi gurafu, 02/06/1948.