Autour d’une table à manger, intemporelle métaphore de l’organisation d’un foyer, se dresse, branle et évolue un troublant portrait de famille. L’œuvre-phare de Midori Kurata nous transporte quelque part entre le polar chorégraphié et le théâtre musical grinçant.

Avec cynisme et provocation, un père expose aux membres de sa famille ce dont ils pourront jouir lors de sa mort, du fait de son excellente assurance-vie. En réponse, le silence de plomb de l’épouse et des enfants accentue la cruauté de son discours, suggérant en creux que toute parole leur est interdite. D’emblée, ce trou d’air ouvre tous les possibles à l’imaginaire du public qui, au fil de la pièce, se projette dans l’espace mental et émotionnel de chacun des protagonistes. Incarnée par des interprètes d’une énergie remarquable, l’écriture chorégraphique de Midori Kurata réunit avec audace des techniques éclectiques de la danse, s’en référant ici au ballet classique, tutoyant là l’équilibrisme et le théâtre d’objets. Parmi d’étourdissantes ruptures de rythme, la danse chemine entre la tendresse féérique d’un Casse-Noisette, les arrêts sur image pour les pauses photographiques en famille et la dimension quasi surnaturelle qu’attise le texte. Une atmosphère à la Festen, dans un délicieux et mystérieux puzzle d’arts vivants et plastiques.  

Mélanie Drouère, programme du Festival d’Automne

2 octobre à l’issue de la représentation
Rencontre avec Midori Kurata

Du 1e au 16 septembre au RDC / du 30 septembre au 4 octobre dans le foyer du théâtre
Exposition photos « A l’intérieur de Portrait de famille »

Midori Kurata

Née en 1987, Midori Kurata est metteuse en scène, chorégraphe et danseuse. Elle apprend le ballet classique dès l’âge de trois ans et s’oriente vers la danse contemporaine à la Kyoto University of the Arts. Pour chacune de ses œuvres, elle se confronte à elle-même et aux autres et, à partir des événements qui se produisent alors, elle crée une fiction en développant une dramaturgie originale. Chaque pièce est pour elle l’occasion d’explorer les possibilités qu’offre la danse. En 2016, elle crée akakilike, une organisation composée uniquement d’elle et d’une équipe technique afin que, pour chaque projet, interprètes et techniciens soient sur un pied d’égalité. La même année, elle crée Portrait de famille, qui est jouée à de nombreuses reprises au Japon. Bonjour, enchanté, qui suis-je aujourd’hui ? est créée en 2018 avec des résidents du quartier Higashi Kujo de Kyoto. Parallèlement, elle assiste régulièrement aux réunions du Kyoto DARC, un centre de réhabilitation pour toxicomanes, et crée avec ses membres deux pièces au titre commun : Toutes ces choses plaisantes qui nous feraient regretter de dormir, comme le miroitement de la mer en été, la lumière qui inonde un jardin bien vert, un ciel éternellement d’azur à rendre fou. Une de ses dernières créations, Je te vois / je ne te vois pas d’ici, est réalisée avec des employés de grandes entreprises de Marunouchi, quartier d’affaires de Tokyo.
En 2023, Midori Kurata effectue sa première tournée hors du Japon avec Portrait de Famille. La même année, elle est nommé directrice artistique du Matsumoto Performing Arts Center.



Portrait de famille version 2023

En 2016, on m’a proposé de travailler avec un photographe pour un spectacle.


La première chose qui me vient à l'esprit lorsque j'entends le mot « photo », c'est une photo de famille. Mon père était le genre de personne qui prends des photos de sa famille tout le temps. En grandissant, j’ai parfois détesté ça. À la puberté, il m’arrivait de ne même pas sourire sur la photo. Mais mon père continuait pourtant à prendre des photos. C'est comme s’il voulait garder une trace de notre « famille » à cette époque.


Face à ce qu'on appelle une « famille », j’éprouvais un sentiment d’appartenance absolue, mais aussi d’étrangeté. J'en suis venue à penser que chacun de nous jouait un rôle – le rôle du père, le rôle de la mère, le rôle de l’enfant – afin que la famille reste telle quelle. Lorsque les enfants grandissent et que l’équilibre de la famille est alors perturbé, ces rôles nous permettent de faire en sorte que la famille reste unie. On peut se réjouir que les enfants grandissent, mais il y a toujours une sorte de cruauté dans ce processus.


Au moment de la création de cette pièce, la petite danseuse était encore en CE2. En 2023, elle est désormais en 2e année de lycée. À cet âge, le charme de l’enfance a déjà disparu. Fini le temps où elle était une adorable petite ballerine. En réalité, il y a bien longtemps qu’elle a arrêté le ballet de sa propre initiative. Au fil des années et des nombreuses recréations de la pièce, elle a fini par y incarner cette cruauté liée au fait de grandir. Exactement comme une enfant qui « n’est déjà plus une enfant », mais qui n’arrive pas à quitter ce rôle dans le cadre familial.


Ce spectacle explore les mécanismes qui permettent à une famille de continuer à fonctionner et de garder son équilibre. Il expose la difficulté d'échapper à la structure familiale, ainsi que l’aspect éphémère et fragile de cette structure. 


La version 2023 de Portrait de famille traite de l’acceptation du fait que « ce n’est plus comme avant ».


Midori Kurata


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Le collectif « akakilike »
Chorégraphie et mise en scène, Midori Kurata
Assistant à la mise en scène, Naoyuki Hirasawa
Lumière, Rie Uomori
Son, Toru Koda 

Texte, Jun Tsutsui
Interprètes, Tatsunori Imamura, Midori Kurata, Riko Sakonuma, Kentaro Sato, Jun Tsutsui, Misako Terada, Kai Maetani
Régisseur général, Yohei Sogo
Traductions, Aya Soejima et Miyako Slocombe (français), Saeko Nagashima (anglais)